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Cyprien Sorel

Vivien Garié : "nous avons mis la focale sur des territoires en manque d'ingéniérie"

Vivien Garié est ingénieur et ancien étudiant du Cycle d'urbanisme. Il est le co-fondateur et directeur associé de l'agence Belvédère, lauréate 2022 du Grand Prix de l'urbanisme.


Entretien réalisé par Cyprien Sorel, publié pour la première fois en janvier 2024.

Vivien Garié et Timothée Turquin

Vivien Garié (gauche) et Timothée Turquin, fondateurs de l'agence Belvédère.


Si tu devais te présenter en quelques mots ?


Je m’appelle Vivien Garié. J’ai 32 ans, j’habite à Paris mais je m’apprête à revenir sur mes terres à Nice, en janvier 2024, après un passage de 12 années dans la capitale.


Avec mon associé Timothée Turquin, je suis co-fondateur et directeur associé de Belvédère, une agence d’urbanisme spécialisée dans la programmation urbaine, la stratégie territoriale et le cadrage opérationnel.


Pourquoi avoir fait le Cycle ? Quels souvenirs ?


Je viens du monde de l’ingénierie. Après une prépa scientifique (PCSI-PSI) au lycée Masséna de Nice, j’ai intégré l’ESTP Paris en 2011, cursus Travaux Publics. C’était intéressant, mais j’ai compris rapidement que ce n’était pas là que je m’épanouirai. Pour moi, c’était trop technique, trop en bout de chaîne, j’avais envie de prendre du recul. Plutôt que l’acte de bâtir, ce qui m’intriguait, c’était le processus décisionnel qui avait conduit au choix de cet ouvrage, au projet plus vaste au service duquel il devait se placer. Bref, l’urbanisme plutôt que la construction.

 

J’ai décidé de préparer le concours d’entrée au Cycle d’Urbanisme en parallèle de mon stage de fin d’études, que j’ai effectué au pôle Infra d’Ingérop Méditerranée, à Marseille. J’ai bien cru que M. Micheau allait tous nous dévorer pendant l’épreuve orale ... mais finalement j’ai eu la joie d’être reçu.

 

C’était la promo 2014-2015, la dernière année de Michel Micheau, avec Marco Cremaschi en transition pendant le 2e semestre. J’en garde un excellent souvenir. Une promo soudée, constituée de personnes brillantes, bienveillantes et ouvertes, avec une diversité de profils qui tranchait nettement avec mes années ESTP, forcément plus homogènes. Et surtout, des cours passionnants, qui confirmaient que j’avais bien trouvé ma voie.

 

Le Cycle, c’est un moment intense, avec des volumes horaires importants, une masse de connaissances à intégrer, du travail sur des projets... De fait, c’est l’équivalent de 2 années de Master en une seule grosse année scolaire. Mais c’est une bonne formule, surtout pour ceux comme moi qui ont déjà passé 5 ans sur les bancs du supérieur, ou qui reprennent les études après une ou plusieurs expériences professionnelles : personne n’est là par défaut, et on a tous envie d’avancer, de progresser. Et puis ça n’empêche pas d’avoir une vraie « vie étudiante », au contraire : c’est une petite promo, on passe tout notre temps ensemble, les liens se créent très vite.


Quel a été ton parcours après le Cycle ?


Au Cycle, mon groupe de travail était missionné par la Ville de Bagneux pour réfléchir à un schéma directeur de ses équipements publics. Nous étions encadrés par Bruno Yvin, associé chez Alphaville, agence de programmation urbaine. J’ai adoré l’exercice et le suivi de Bruno. Aussi, quand il m’a proposé un stage, j’ai sauté sur l’occasion. La programmation urbaine, c’était parfait pour moi : de vraies réflexions d’urbanistes portées sur le contenu des projets, la possibilité d’être utile aux collectivités en apportant une expertise stratégique. Et en même temps, des aspects techniques sur le plan méthodologique, qui permettaient d’utiliser mes racines d’ingénieur, mon côté « matheux ».

 

Je suis resté chez Alphaville pendant presque 4 ans, et je m’y suis forgé en tant qu’urbaniste et en tant que programmiste, grâce notamment à l’accompagnement de Bruno Yvin et de Delphine Négrier. Quant aux cyclistes, j’en ai croisé plus d’un, surtout parmi mes collègues, avec des camarades de promo (Lola Magaz, Delphine Dautrême) ou de plus anciens (Timothée Turquin, Amélie Pinca...).

 

J’en rencontre aujourd’hui au sein de collectivités, ou du côté des maîtres d’ouvrage privés. J’ai même eu l’occasion de travailler en groupement avec LUP, agence créée par d’autres camarades de promo, Grégoire Billard, Florian Carrot, Rémi Bonnefoi. Dans le monde de l’urbanisme, on retrouve des cyclistes un peu partout !


En quoi consiste ton activité ?


Début 2019, je me suis associé avec Timothée Turquin (promo 2012) pour créer Belvédère. Nous travaillons dans les champs de la programmation, de la stratégie territoriale et urbaine, du processus opérationnel, un peu partout en France. Nous continuons à œuvrer pour des projets urbains métropolitains, comme chez Alphaville, mais nous avons aussi mis la focale sur des territoires plus « délaissés », petits, en manque d’ingénierie, qui ont subi des trajectoires difficiles et où l’on sent un désir de « reprendre la main » sur l’avenir. La revitalisation des centres-bourgs est par exemple un sujet – pas simple – qui nous passionne.

 

Nous essayons, dans chaque projet, même les plus modestes, de convoquer la grande échelle, la stratégie de long terme et la « trajectoire territoriale », pour replacer l’urbanisme au service de l’aménagement des territoires (une notion un peu oubliée), et comme un acte politique qui implique de prendre position. Dans le contexte actuel de crise écologique qui doit – et va – engendrer des évolutions profondes sur nos existences, on ne peut plus faire l’économie de penser aux équilibres territoriaux, aux relations de polarisation, aux distances entre les choses... Nous avons écrit un texte-manifeste en 2020, intitulé Le grand bout de la lorgnette. Crise écologique et aménagement des territoires, qui tente d’étayer ces positionnements. Une synthèse en a été publiée par le Pavillon de l’Arsenal dans le cadre de l’ouvrage Et demain, on fait quoi ? 198 contributions pour penser la Ville.

 

Nous essayons, dans chaque projet, même les plus modestes, de convoquer la grande échelle, la stratégie de long terme et la « trajectoire territoriale », pour replacer l’urbanisme au service de l’aménagement des territoires

Nous avons été lauréats du Palmarès des Jeunes Urbanistes 2022, une belle récompense qui nous a fait davantage connaître. Aujourd’hui l’agence emploie 6 personnes et poursuit son bonhomme de chemin. À titre personnel, je consacre maintenant un peu moins de temps à la production des livrables, et davantage au pilotage, à l’encadrement, à la gestion de l’agence, des aspects que j’apprécie et qui viennent enrichir mon quotidien. Par ailleurs, mon déménagement à Nice est l’occasion de structurer un nouveau « pôle Sud » pour l’agence, avec l’objectif de nous développer dans la région PACA, tout en continuant à faire vivre le siège parisien.


Comment le Cycle te sert-il encore ?


Le Cycle est d’abord une formation de qualité. Il m’a donc servi et continue de me servir sur le fond, grâce aux connaissances acquises. Celles que j’utilise au quotidien dans ma pratique, mais pas seulement : le spectre large des thèmes abordés pendant les cours et les ateliers me permettent aujourd’hui de mieux dialoguer avec les concepteurs architectes-urbanistes et paysagistes, de mieux comprendre les contraintes et les processus décisionnels des maîtres d’ouvrages... L’urbanisme est une discipline collective dans laquelle personne ne possède toutes les clés et où le jeu d’acteur a une importance primordiale. Le Cycle, qui porte en cela la marque de Sciences Po, permet de comprendre et d’intégrer ces réalités.

 

Au-delà du champ de l’urbanisme, c’est aussi une école de pensée – je garde en tête les cours de Bernard Coloos – qui nous amène à considérer les choses dans leurs nuances, à être ouverts au débat, à penser contre nous-mêmes. Dans un monde où la pensée se polarise, ces notions sont précieuses.

 

Le Cycle est en conséquence un diplôme connu et reconnu, qui ouvre des portes. Enfin, c’est un réseau, qui facilite le partage d’expériences, de connaissances, le recrutement.


Peux-tu nous parler d'un projet, d'un.e urbaniste inspirant.e ?


Sans citer de projet en particulier, j’aime les concepteurs qui ont le goût du travail collectif et sont réceptifs aux contributions de chacun, par-delà les logiques de travail en silo, tout en portant eux-mêmes des convictions fortes, notamment sur le plan écologique. Dans des projets urbains complexes avec des équipes de maîtrise d’œuvre constituées en groupement, c’est un vrai talent. Il y a la qualité formelle du projet, mais aussi sa capacité à répondre à plusieurs problématiques, à être cohérent, à s’adresser à plusieurs échelles. J’aime aussi, et cela va avec, les projets qui savent « se faire oublier », en cherchant au mieux le dialogue et la réutilisation de l’existant plutôt que la signature. Des éléments que je retrouve par exemple chez Antoine Petitjean d’Atelier Philippe Madec, Pierre Traisnel d’Atelier Silhouette Urbaine, Léonard Cattoni de Réseau(x), Delphine Baldé du Studio Sanna Baldé ...

 

Réunion de concertation Agence Belvédère

Par ailleurs, dans notre pratique chez Belvédère, nous sommes toujours à la recherche de « références », c’est-à-dire de projets réalisés, avec certaines propriétés que l’on souhaiterait recréer ailleurs, et qui nous servent à montrer aux élus ou techniciens que « c’est possible, la preuve, ça existe ! ». Comme nous travaillons dans des territoires où l’enjeu est souvent d’agir à contre-courant des logiques de marché, nous sommes particulièrement attentifs aux exemples de collectivités qui parviennent à porter elles-mêmes des projets, petits ou grands. Un exemple que nous convoquons souvent est celui des Ateliers Locatifs de Prunay-sur-Essonne, projet public modeste mais énorme au regard de la taille des acteurs publics qui l’ont porté (4 petits villages associés), qui combine plusieurs caractéristiques intéressantes : la reconversion d’un bâtiment industriel en ateliers artisanaux modulables, loués par la collectivité à des artisans du territoire (dont une recyclerie sous forme d’un Société à But d’Emploi), avec des loyers avantageux pour les entrepreneurs mais suffisants pour couvrir les traites de l’emprunt contracté par les communes, pour un projet financièrement transparent. Ce type de projets, qui reposent souvent sur une poignée d’acteurs qui se retroussent les manches et vont au bout de leur idée, pour le bien de leur territoire, doivent nous inspirer !


(c) Vivien Garié et Belvédère

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