Par Delphine HAMON (promotion 2021-2022), actuellement chargée d'opérations à Paris Habitat.
En décembre 2021, le Conseil de Paris vote pour l’intensification de la production de logements en BRS « afin d’augmenter l’offre de logements abordables à destination des classes moyennes » (1). Cette délibération s’inscrit dans une double dynamique de forte augmentation du coût de l’immobilier et d’une efficacité limitée des aides publiques à l’accession sur le temps long (2).
Dans ce contexte, la dissociation du foncier et du bâti permet à des ménages n’ayant pas les moyens de devenir propriétaires. Alors, le BRS permet-il de répondre aux aspirations à la propriété des classes moyennes, en particulier à Paris ?
Nous analyserons le type de propriété proposé par le BRS mis en parallèle avec les attentes associées au statut de propriétaire. Puis, nous étudierons les limites du dispositif et les pistes d’amélioration.
Un modèle offrant des droits réels à ceux pouvant avoir des difficultés à l’accession
Une décorrélation entre foncier et bâti
Tout d’abord, un organisme de foncier solidaire (OFS) fait l’acquisition d’un terrain. Puis, des bailleurs sociaux ou promoteurs y développent un projet. Des ménages, sous plafond de ressources, achètent à moindre coût la propriété immobilière tandis que l’OFS demeure propriétaire du foncier. "L’abordabilité" du logement est maintenue grâce à cette dissociation de la propriété.
Ce principe est intégré dans le système législatif (3) et rendu opérationnel (4) en 2017. Paris se dote d’un OFS en 2019 : la Foncière de la Ville de Paris (FDVP). La première opération au sein du futur quartier Saint-Vincent-de-Paul (SVDP) est annoncée en 2021. A terme, l’objectif est de livrer 1 000 logements BRS d’ici 2026. Ces habitations sont comptabilisées dans les 25% de logements sociaux parmi les résidences principales imposés par la loi SRU (5), expliquant en partie leur grande popularité.
Un statut de propriétaire plébiscité par une majorité de français
Depuis les années 1970, être propriétaire de son logement est culturellement reconnu comme l’accomplissement du parcours résidentiel, comme théorisé par Julien Damon.
La proportion des ménages propriétaires est stable autour de 58% (6). Mais ce pourcentage cache des fortes inégalités : parmi le quart le plus riche de la population, 70% sont des propriétaires occupants, pour seulement 16% dans le quart le plus pauvre.
Les droits réels acquis avec le BRS sont comparables à ceux d’une pleine propriété. Bilitis MOY-CHRETIEN, un membre d’un des 23 ménages sélectionnés pour l’opération Saint-Vincent-de-Paul , déclare : « sans le BRS on n’aurait jamais pu s’installer ici, on n’avait pas les moyens ». Le mètre carré est vendu à 5 000€ au lieu de 9 975€ en moyenne dans le quartier, selon le site Se Loger.
Un outil présentant quelques contraintes et difficilement mis en œuvre
Des conditions d’exercice des droits réels encadrées limitant la pleine propriété
Un décrochage est observé entre le revenu des ménages et le prix du m² pourtant réglementé. En plus de l’emprunt, le ménage doit s’acquitter d’une redevance foncière auprès de l’OFS, 2,50€/m²/mois pour la Foncière de la Ville de Paris. La nouveauté du dispositif rend les banques frileuses à accorder des prêts. Plusieurs familles de Saint-Vincent-de-Paul se voient refuser leurs demandes d’emprunt, en partie à cause des taux d’intérêts actuels.
Les ménages contractent un bail de longue durée (jusqu’à 99 ans) avec une possibilité de revente ou succession. Si le nouveau ménage ne rentre pas dans le plafond de ressources alors l’OFS ne pourra pas valider l’offre. Un aspect positif pour les ménages de Saint-Vincent-de-Paul, comme Yann et Juliette « Si nos enfants gagnent plus, tant mieux pour eux. ». Le propriétaire peut revendre son bien à une valeur actualisée grâce à l’indice précisé dans le bail. Ce système garantit la durabilité de l’accession abordable.
Des outils opérationnels pour accélérer sa démocratisation
La complexité du montage ralentit la démocratisation du BRS. La flexibilité donnée par la loi de 2017 nécessite de nombreux arbitrages juridiques et économiques, un casse-tête à Paris où l’écosystème d’acteurs est abscons.
Pour pallier ces difficultés, une charte réutilisable entre les acteurs de l’urbain peut être imaginée. Celle-ci sera l’occasion de redéfinir clairement le rôle de chacun. La Foncière de la Ville de Paris a été créée pour amortir le coût du foncier sur le long terme. Or actuellement, la Foncière de la Ville de Paris ne remplit pas ce rôle et les opérations s’équilibrent grâce aux contributions de la Ville de Paris. Afin de répartir les risques liés au portage du foncier, le recours au prêt Gaïa Long-Terme de la Banque des Territoires pourrait être plus fréquent.
(1) 2021 V.379 ‘Vœu relatif à la répartition territoriale des logements en bail réel solidaire (BRS) à Paris’, Bulletin Officiel de la Ville de Paris, délibérations du Conseil de Paris de décembre 2021
(2) ‘Les aides de l’Etat à l’accession à la propriété’, Cour des comptes novembre 2016
(3) Loi n°2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté
(4) Décret n° 2017-1038 du 10 mai 2017 relatif au bail réel solidaire
(5) Loi nᵒ 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain
(6) ‘Propriétaires – Locataires’, INSEE Références, 27/02/2020