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Sciences Po Urba

Terres excavées : le pouvoir des aménageurs

Par Emma BAROUH (promotion 2021-2022), actuellement cheffe de projet Aménagement à l’Établissement Public d'Aménagement Paris-La Défense.


Image ANABF (2020)


Les déchets de la construction représentent 69% des déchets produits en France. Parmi eux, plus de la moitié sont des terres : en Ile-de-France, 30 millions de tonnes de terres sont excavées chaque année (1).


Le principal enjeu est de valoriser ces terres plutôt que d’en faire un déchet : les terres issues de l’excavation doivent être réemployées en tant que ressources pour les projets urbains de demain. Si d’après Laure VIDAL-BEAUDET, « le système urbain actuel présente un métabolisme linéaire avec des matériaux primaires qui rentrent et des déchets qui sortent », ces ressources ne peuvent pas être extraites et rejetées à l'infini. D'une part car les ressources s'amenuisent, et d'autres part car ce système contribue à l'artificialisation des sols et génère de la pollution.


Quel rôle les aménageurs publics peuvent-ils jouer dans la mise en place d'une économie circulaire des terres excavées ?


Nous étudierons le retour en grâce du réemploi des terres, impulsé par un cadre réglementaire et une prise de conscience écologique. Puis, il s’agira de montrer comment les maîtres d’ouvrage peuvent dépasser les obstacles qui entravent la généralisation de ce modèle.


L'intensification de la prise en compte des enjeux liés à la terre élargit le champs d'intervention des maîtres d'ouvrage


Une activité ancestrale qui fait son retour en grâce

Quand une métropole se développe, qu’elle se densifie ou qu’elle s’étale, son sol est creusé et ses terres excavées. En effet, toute construction nécessite des travaux de terrassement : cette activité a plus de 3 500 ans. Jusqu’à la révolution industrielle, les terres déplacées étaient réemployées. Cependant pour répondre au phénomène de densification, les maitres d’ouvrage se sont orientés vers des solutions plus économiques et rapides (2).


En parallèle, du fait de la rareté du foncier en ville, les terres sont stockées dans les zones rurales : il y a une dissociation spatiale entre les lieux producteurs de terres excavées et les lieux récepteurs. Ainsi, les territoires ruraux pâtissent d’une double-peine : d’une part, ils voient leurs terres végétales raclées pour approvisionner les parcs urbains, et d’autre part les terres polluées issues des villes viennent dégrader leurs sols.


Si dans les pays émergents cette pratique n’a jamais disparu, un retour en force du réemploi se dessine dans les pays industrialisés. A l'époque, le réemploi était circonstanciel, il représente désormais un engagement conscientisé voire politique. Il ne s'agit donc pas d’inventer le réemploi des terres, mais de le remettre au goût du jour.


Une activité nécessitant rapidement l'émergence d'un cadre règlementaire adapté

Dès les années 2000, le gouvernement établit un cadre réglementaire autour de la gestion des terres. Celles-ci, dès qu’elles sortent du périmètre de leur excavation, prennent le statut de déchet. Ce statut ne facilite pas la valorisation des terres, en entravant leur commercialisation (3). Au-delà d’alimenter une perception négative de la terre excavée, la réglementation liée au statut de déchet incombe certaines responsabilités, plus contraignantes que le statut de produit. En 2020, la loi AGEC4 (4) autorise la sortie du statut de déchet pour les terres excavées sous certaines conditions : une avancée nécessaire pour tendre vers une meilleure gestion des terres.


Cependant, les maîtres d’ouvrage pourraient s’impliquer davantage dans la mise en œuvre de cette démarche


Certains obstacles politiques entravent la généralisation du modèle

Malgré l’évolution réglementaire favorable, les principaux obstacles à la généralisation de

ce modèle sont le prix et le temps.


L’aménageur est contraint de choisir l'offre la moins chère pour équilibrer le bilan financier de son opération urbaine : la cherté du foncier en ville ne joue pas en faveur du réemploi « in situ ».

Également, le temps est vécu comme un frein dans les opérations d’aménagement, par dépendance notamment au calendrier électoral. Tout doit aller très vite, alors que le réemploi engendre de forts aléas non maîtrisés (5).


Des obstacles qui doivent être dépassés pour tendre vers une gestion ambitieuse, multi-partenariale et innovante des terres

Les maîtres d’ouvrage ont intérêt à considérer la terre comme une ressource, tant sur le

plan environnemental que sur le plan financier. La transformation du modèle actuel doit passer par une meilleure connaissance des flux, ainsi qu'une répartition des responsabilités impulsée par un processus de gestion collaborative intégrant le secteur privé (6). C'est le cas pour la plateforme de gestion des terres de Paris La Défense (7), dont la gestion est confiée à une entreprise. L'aménageur peut mettre en place des clauses incitatives dans les marchés qu’il conçoit pour encourager l’usage de cette plateforme.


Enfin, l’expérimentation et l’innovation permettent de bouleverser les régimes en place.

C’est le cas du recyclage des terres excavées en terre crue (8), ou d'expérimentations artistiques crées à partir des déblais (9). D'autres modèles de revalorisation existent : il convient de les adapter en fonction du site.




(1) DIAB Youssef, LANDAU Bernard, 2020

(2) CHOPPIN Julien, DELON Nicolas, 2014

(3) Le Moniteur, 2021

(4) Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire

(5) BASTIN Agnès, 2019

(6) AUGISEAU Vincent, 2019

(7) ZAC des Groues, Nanterre

(8) Démarche Cycle Terre

(9) Land Art métropolitain, 2019


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