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Sciences Po Urba

La démocratisation des matériaux biosourcés et géo-sourcés dans la construction

Acteurs et leviers pour une structuration des filières : le rôle de l’aménageur


Par Jules Barbet (promotion 2021-2022), actuellement architecte-urbaniste chez LIST.


Alors que le contexte géopolitique et environnemental pousse à réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre liées au secteur de la construction, l’utilisation des matériaux bio et géo-sourcés apparaît comme une solution pertinente pour diminuer son impact. Pourtant, malgré leurs nombreux avantages, ces matériaux peinent à se massifier, en raison de quelques freins bien identifiés aujourd’hui. Au sein des nombreux acteurs de l’aménagement, de la ville et de la construction, l’aménageur occupe une place centrale, lui permettant grâce à différents leviers, d’aider à la structuration de ces filières, en utilisant ces nouveaux modes constructifs à plus grande échelle.



Extrait d'un scénario de l'étude Bois Biosourcé pour l'opération Chapelle-Charbon. Source : Paris & Métropole Aménagement



Avec la mise à l’agenda des problèmes environnementaux liés au secteur de la construction, l’usage des matériaux biosourcés, géo-sourcés et de réemploi apparaît comme une solution pertinente pour réduire l’impact de ce secteur. Leurs avantages permettent, entre autres, de fortement réduire l’empreinte carbone des constructions.


On pourrait qualifier cette mise à l’agenda de silencieuse, selon les termes de Philippe GARRAUD (1990) : la médiatisation et la politisation étant faibles et la mobilisation publique absente, le rôle moteur pour développer ces filières appartiendrait donc aux autorités publiques. Les initiatives sont portées par le public ou par les groupes organisés ayant accès aux autorités publiques, ici les acteurs de l’aménagement et de la construction (1).


Effectivement, le Plan de relance pour la construction écologique de l’Ile-de-France 2020 a pour ambition de faire émerger une filière industrielle francilienne pour approvisionner les matériaux biosourcés et de doubler leur part dans la construction francilienne d’ici à 2025. Cette volonté est également affichée auprès du grand public. Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Mairie de Paris en charge de l’urbanisme écrit ainsi dans l’introduction du livre de l’exposition du Pavillon de l’Arsenal « Conserver, Adapter, Transmettre », qu’il faut « privilégier des matériaux de qualité, géo-sourcés ou biosourcés, produire une architecture soignée, contextuelle et environnementale et contribuer aux nouvelles techniques de constructions. »


Aujourd’hui existe donc une véritable volonté, voire même une injonction, à construire avec ces matériaux bio et géo-sourcés. Pourtant, ces filières peinent à s’imposer dans le secteur de la construction. La question posée ici, est de chercher à identifier pourquoi il subsiste un blocage à développer ces modes constructifs et quels sont les obstacles à la structuration de ces filières. L’autre question cherche à identifier quelles solutions existent ou du moins quels sont les leviers à actionner par un aménageur pour participer à ce développement.


Dans un premier temps, nous reposerons le contexte concernant l’usage de ces matériaux, en pointant brièvement leurs qualités et les freins à leur mise en œuvre. Puis nous développerons une proposition de démarche qui participe au renforcement de ces filières, au travers de l’exemple de la ZAC Chapelle-Charbon et de la façons dont un aménageur peut se saisir de ce sujet.


Les matériaux bio et géo-sourcés dans la construction : un usage artisanal et ancien, mais insuffisamment structuré pour une utilisation standardisée


Des matériaux utilisés massivement dans la construction avant d’être remplacés par le béton et les matériaux de la révolution industrielle

Pour redéfinir rapidement les termes du sujet : les matériaux biosourcés sont « issus de ressources renouvelables d’origine végétale, et parfois animale, comme le bois, le chanvre, la laine, le lin, la paille… » et les matériaux géo-sourcés sont « issus des ressources du sous-sol, d’origine minérale […] comme la terre crue ou la pierre » (2).


Utilisés traditionnellement depuis des milliers d’années dans la construction, ces matériaux ont été supplantés par les matériaux de la révolution industrielle, particulièrement le béton.

Cette filière s’est alors structurée et massifiée, aux dépends des autres matériaux, jusqu’à asseoir une forme d’hégémonie sur le secteur de la construction, grâce entre autres, à son faible coût et à sa facilité de mise en œuvre (André GUILLERME, 1995).


Les avantages des matériaux bio et géo-sourcés reposent la question de leur usage dans la construction

Aujourd’hui, dans le contexte d’urgence climatique, les matériaux bio et géo-sourcés sont une réponse pour diminuer l’impact environnemental du secteur de la construction. Ils présentent effectivement de nombreux avantages :


  • Très peu émetteurs en gaz à effet de serre, certains matériaux biosourcés peuvent même avoir une empreinte carbone positive en considérant le stockage du carbone biogénique (3),

  • Issus de ressources locales, pouvant être très proches des chantiers, favorisant ainsi les acteurs des territoires et optimisant les distances parcourues,

  • Avec avantages non seulement sur la phase de construction, mais également sur le reste du cycle de vie. Ainsi, dans l’usage, ce sont souvent des matériaux avec de bonnes performances thermiques et d’isolation, assurant des économies d’énergie. De plus, leur fin de vie est aussi vertueuse : les matières peuvent être réemployées ou compostés lors de la déconstruction.

Les aménageurs peuvent permettre de dépasser les freins à l’usage des matériaux bio et géo-sourcés dans la construction


Des contraintes techniques, réglementaires et économiques

Ces matériaux présentent donc de nombreuses qualités, adossés à une dynamique volontariste pour construire plus systématiquement avec. Pour autant, certains obstacles freinent la massification de leur usage, en se heurtant notamment aux filières déjà en place, particulièrement celle du béton.


Une première raison est que le milieu de la construction subit pleinement ce que Paul PIERSON théorise comme « le sentier de la dépendance » (4), soit la difficulté à sortir d’un système éprouvé et auquel tout le monde est habitué. De plus, il subsiste encore de nombreux freins à l’usage de ces modes constructifs : le coût (bien qu’en baisse tendancielle), la main-d’œuvre spécifique nécessaire, et la formation et l’investissement supplémentaire des acteurs pour mettre en place une innovation. Enfin, le manque de réglementation encadrant ces matériaux et modes constructifs est peut-être le frein le plus important.


Le rôle de l’aménageur dans l’expérimentation, la démocratisation et la massification de l’usage des matériaux bio et géo-sourcés

Les pouvoirs publics et les acteurs de l’aménagement et de la construction se mobilisent aujourd’hui de plus en plus pour expérimenter ces matériaux, et rendre leur usage plus systémique, notamment pour les chantiers importants.


Intéressons-nous au projet de la ZAC Chapelle-Charbon, située dans le 18e arrondissement de Paris, à proximité de la Porte de la Chapelle, et porté par un aménageur public de la Ville de Paris, la SPL Paris & Métropole Aménagement (P&Ma).

Pour cette opération, l’aménageur et la Ville de Paris se sont fixés des objectifs de construction en matériaux bio et géo-sourcés, pour répondre notamment à des ambitions carbone importantes.


Pour accompagner ces ambitions, trois moments ont marqué le déroulé de l’opération :


  • Premièrement, en amont du lancement des consultations de maitrise-d’œuvre, P&Ma a porté une étude appelée « Bois Biosourcé » avec sa maîtrise-d’œuvre urbaine : un bureau d’ingénieur spécialisé dans la construction bio et géo-sourcée, un économiste de la construction, un bureau de contrôle, et son Assistant à Maitrise d’Ouvrage (AMO) Bas Carbone. Cet étude a permis de simuler les performances environnementales et économiques des différents scénarios, appliqués au projet de la ZAC, mettant en œuvre différents types de matériaux. Cela a révélé les avantages de l’utilisation des matériaux biosourcés et géo-sourcés, ainsi que leurs réalités constructives, financières et environnementales, en s’appuyant sur un projet situé.

  • Cela a permis, dans un deuxième temps, d’accompagner le cahier de prescription transmis aux équipes de maitrise d’œuvre qui étaient retenues pour les concours des différents lots bâtis. Ce cahier imposait notamment, des prescriptions ambitieuses quant à l’usage des matériaux bio et géo-sourcés, et des émissions carbone. Cela a donné lieu à des réponses qui s’attardaient beaucoup sur les détails constructifs et les modes structurels, enrichissant et nourrissant grandement les projets et leur conception, en prenant comme l’un des éléments de départ du projet, le choix du matériau utilisé.

  • Enfin, l’étape qui s’est tenue en 2021, consistait à passer de la théorie des projets retenus (mobilisant des matériaux comme le bois, le chanvre, la paille, la pierre…), à leur mise en œuvre et leur réalité constructive.


En s’engageant sur ce projet, les maitrises d’ouvrage avaient conscience du coût et de l’investissement intellectuel plus important : ces difficultés étaient déjà ciblées et intégrées. En revanche, la question la plus importante portait sur les contraintes réglementaires qui pesaient sur le projet. Comme précisé, les modes constructifs utilisés ici manquent d’Avis Techniques et ont du être soumis à des ATEx (Appréciations Techniques d’Expérimentation) , permettant de valider un mode constructif sur un chantier, mais qui peuvent impacter le calendrier, le cout et même la bonne réalisation de l’opération. En profitant de la situation de ZAC et d’ambitions et de calendriers communs, l’aménageur peut à ce moment chercher à mutualiser certains efforts.


Ainsi, deux stratégies parallèles ont pu être mises en place :


  • Assez simplement, il est possible de mutualiser une demande d’ATEx pour deux ou trois bâtiments avec un mode de construction similaire. Des projets avec des similarités en phase concours pourraient dès lors être retravaillés pour s’harmoniser et n’avoir plus qu’un seul mode constructif (par exemple, deux lots avec des façades paille mais avec une mise en œuvre différente -botte porteuse, paille hachée en caisson…- , ont pu être retravaillés ensemble en ateliers de conception afin d’avoir le même mode constructif, avec les mêmes épaisseurs de mur, les mêmes types de protection à la pluie etc…). Ces ajustements en atelier permettent donc d’uniformiser les modes constructifs et de réduire le nombre de demandes d’ATEx à déposer.

  • La deuxième stratégie, un peu plus ambitieuse, est d’aller aider financièrement les maitrises d’ouvrage à l’aide de subventions publiques, ici de l’Ademe, pour réaliser les essais nécessaires à l’obtention des ATEx.


Conclusion


Le rôle de l’aménageur a donc été de démontrer l’efficacité de ces matériaux, porter les ambitions de construction en les imposant aux maitrises d’ouvrage des bâtiments puis en les accompagnant dans la résolution des freins réglementaires et financiers. L’aménageur porte donc de fortes ambitions pour son opération et met en place les moyens pour que leur réalisation puisse voir le jour. Ils se servent ainsi de cette opération comme incubateur de projets pionniers en terme de modes constructifs et permet ainsi aux filières de trouver un lieu d’expérimentation pour leurs matériaux.


Au vu des qualités de ces matériaux et des ambitions communes pour les utiliser davantage, certains acteurs du monde de l’aménagement, de la ville et de la construction travaillent ensemble pour surpasser les contraintes existantes et participer au développement de ces filières. L’aménageur, au cœur des relations entre tous ces acteurs, occupe une place stratégique pouvant déboucher sur des consensus opérationnels efficaces. Des projets d’aménagement peuvent ainsi servir d’incubateurs pour des opérations pionnières, qui pourront ouvrir la voie à une massification progressive de l’usage de ces matériaux, pouvant répondre à terme, à l’ensemble du champ de la construction, y compris de grands bâtiments complexes. Si l’aménageur peut avoir ce rôle central de mise en commun des ambitions, il devra en revanche chercher les fonds financiers auprès d’institutions publiques. Ainsi, il semble que, pour financer l’innovation, il soit nécessaire de trouver de l’argent extérieur au bilan d’aménagement/promoteur. Il parait alors vital que les pouvoirs publics puissent accompagner ce genre d’initiatives, démonstratrices et participant à la structuration des filières.


Dès lors, en janvier 2023, une pétition pour faire baisser la TVA sur le prix des matériaux biosourcés, géo-sourcés et de réemploi a été lancée, qui permettrait de favoriser encore l’utilisation de ces techniques de construction, en leur donnant un nouvel avantage vis à vis des autres filières en place… (5)



Et pour aller plus loin ...




(1) Patrick Hassenteufel, Les processus de mise sur agenda : sélection et construction des problèmes publics, Informations sociales, vol. 157, no. 1, 2010, pp. 50-58.

(2) Lisa Gaucher, Marie Carles, Thomas Hemmerdinger, « La place des matériaux biosourcés et géosourcés dans la construction en Île-de-France, Note rapide Territoires, n° 941 », L’Institut Paris Région, mai 2022

(3) Dominique Gauzin-Müller, Aurélie Vissac, « Terra Fibra Architectures », Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2021.

« Lors de sa croissance, un végétal capte du dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique. par la photosynthèse, il le transforme en d’oxygène (O2) qu’il émet dans l’atmosphère et en carbone (C) dit biogénique, c’est à dire constitutif du végétal. Le carbone entre par exemple dans la composition chimique de la cellulose, un des principaux constituant du tissu cellulaire. Par le biais de ces réactions chimiques, le carbone s’accumule dans la plante lors de sa croissance. Il est réélis dans l’atmosphère en fin de vie de la plante, en totalité lorsqu’elle est brulée, en partie seulement lorsqu’elle est enfouie ou compostée. Dans ces derniers cas, le sol séquestre du carbone qui n’est donc pas restitué à l’atmosphère. Tout matériau constitué de fibres végétales stocke ainsi du carbone bionique pendant toute sa durée de vie et retarde d’autant l’émission du CO2 dans l’atmosphère, faisant de leur emploi dans la construction un moyen de séquestre du gaz à effet de serre de manière immédiate et pérenne. » 

(4) Paul Pierson, "Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics", American Political Science Review, 94(2), pp251–267, 2000

(5) Pétition : Baisser la TVA sur les matériaux bio, géosourcés et de réemploi dans la construction ! (lien)







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