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Cyprien Sorel

Florent Lévêque : “il faut accepter la ville comme elle est plutôt que comme on voudrait qu’elle soit.”

Florent Levêque est architecte HMONP et ancien étudiant du Cycle d'urbanisme. Il est Directeur du pôle France à l'agence de paysage, d’urbanisme et d’architecture Topotek 1 (Berlin et Zurich).


Entretien réalisé par Cyprien Sorel.


Si tu devais te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Florent Lévêque, j’ai 35 ans, je vis et travaille à Berlin depuis 2015. Architecte et urbaniste de formation, je suis directeur du pôle français de l’agence de paysage, d’urbanisme et d’architecture TOPOTEK 1, basée à Berlin et Zurich.

 

En parallèle, j’ai la chance de pouvoir mener d’autres activités très diverses, notamment au sein de l’association Conversas (Berlin) qui organise des conférences et rencontres à l’intersection entre démarches artistiques et sujets sociétaux actuels, ou encore d’enseignements comme au Cycle d'urbanisme de Sciences Po, au master AMUR des Ponts et au Dessau Institute of Architecture.


Pourquoi avoir fait le Cycle ? Quels souvenirs ?


Le souvenir le plus vif que je garde, le plus instantané et encore palpable, c’est celui d’intensité - à tous les niveaux.

 

D’abord, une intensité au sens pratique du terme, par la charge de travail et d’énergie qu’en tant qu’étudiant on doit mobiliser pour réaliser le simple travail quotidien, le minimum attendu par les enseignants ou ses camarades de promo. Ce n’est pas forcément plus complexe, mais plutôt dense et profond. Le rythme était vraiment saisissant – entre anciens maintenant, cela nous fait sourire…

 

Ensuite, une intensité en termes d’ampleur, en termes de quantité de concepts, de méthodes, d’outils, de procédés, de finalités, de type d’acteurs ou d’entités qui agissent, conçoivent, pensent et construisent la ville à leur façon. S’il y avait certes une approche holistique dans l’apprentissage que nous recevions, car il se voulait extrêmement solide, complet, digne de la grande école qu’est Sciences Po, nous avions aussi beaucoup de liberté dans nos façons d’aborder ces mêmes concepts, méthodes, outils et de les manipuler ; des approches plus sensibles (comme la photographie pour moi), parfois artistiques voire poétiques étaient possibles.

 

Enfin, une intensité en termes d’assurance, de maturité, de courage presque, que le Cycle procure. Je ne m’en suis rendu compte que par la suite, avec un peu de recul, mais cela pourrait s’expliquer par l’assemblage que constitue en définitive une promo, par la grande diversité en termes d’âges, de professions, d’expériences mais aussi de personnalités, qui permet un incroyable nivellement par le haut, dans des situations mi-éducatives / mi-professionnelles hautement stimulantes.

 

En fin de compte, cette intensité a été positive et fructueuse et m’a apporté beaucoup de réponses et de clefs de lecture. Je suis désolé de l’avouer, mais j’avais postulé en suivant simplement des conseils d’amis qui me connaissaient, en qui j’avais vraiment confiance. On me disait « tu devrais faire le Cycle, tu y verras plus clair » : je ne m’attendais pas à découvrir autant. Enfin, je ne sais pas si je vois plus clair, mais on m’a appris à regarder …

 

Je finirai en rappelant que la promo 2014-2015 était la dernière sous l’égide de Michel Micheau, professeur au Cycle mais aussi figure tutélaire, disons presque historique du Cycle ; c’était définitivement une année de changement, de transformation, d’évolution...


Quel a été ton parcours après le Cycle ?

Je voulais prendre du recul tout en capitalisant sur ce que j’avais appris. Je n’avais pas du tout envie de postuler en France.

 

C’est l’agence LIN, dirigée par Finn Geipel, qui a très vite attiré mon attention. Basée à Berlin et membre de l’Atelier International du Grand Paris, LIN m’intéressait beaucoup par son approche radicale des typologies (architecturales ou urbaines) et le regard singulier posé sur les parties dites périphériques et en marge des métropoles. Le concept de « métropole douce » proposé pour le Grand Paris, mélange hybride entre polycentrisme berlinois et grande diversité d’échelles et de densités m’intriguait tout autant. En définitive, bien que travaillant dans une agence allemande, depuis Berlin, j’ai pu mettre en application les leçons du Cycle.

 

Un changement de cap s’est amorcé sous l’effet d’un sentiment très personnel autour des questions environnementales et écologiques en ville pour se concrétiser au travers de mon poste actuel chez TOPOTEK 1. J’avais commencé à chercher une façon de pouvoir poursuivre mon travail sur les problématiques urbaines tout en faisant de l’écologie, et par extension la nature et notre rapport avec elle, non plus un élément qui augmente un travail initialement et purement architectural ou urbain, mais qui en soit le fondement, le point de départ, le cadre de réflexion. C’est tout simplement le travail des paysagistes depuis un demi-siècle...

 

En définitive, bien que travaillant dans une agence allemande, depuis Berlin, j’ai pu mettre en application les leçons du Cycle.

De nouveau, mon profil « Cycliste » m’a beaucoup aidé au sein de cette agence internationale travaillant en France, au moment justement où les paysagistes commençaient à passer de co-traitant à mandataire, de paysagiste accompagnateur à paysagiste concepteur-mandataire.


Un projet inspirant dont tu souhaiterais nous parler ?


TOPOTEK 1 a récemment livré à Nanterre la phase 1 d’un projet d’espace public, la ZAC « Le Croissant » qui selon moi fonctionne vraiment bien d’un point de vue urbain, paysager, social et que j’aime tout particulièrement, formellement et conceptuellement.

Constitué d’une relativement fine et longue bande d'espace public coincé entre le cimetière de Puteaux et de grandes barres d’immeubles, le site était vraiment compliqué. Prenant une forme de croissant, imposée par le boulevard reliant Puteaux à la Défense, l’espace dénué de tout surface perméable ou végétale était démuni de tout usage ou fonctionnalités urbaines – le rez-de-chaussée et les deux premiers niveaux des immeubles étant un parking, ils n’avaient ni ouvertures, ni accès : aucunes urbanité, aménités, confort.

 

La stratégie choisie a été de faire jeu égal avec la dureté du site, de l’assumer et de la dépasser en proposant un design graphiquement fort, une palette végétale qui réponde au brutalisme architectural et en définitive, au lieu d’essayer de contrebalancer avec de la douceur, de la fragilité, d’entrer dans un rapport de force avec le contexte pour faire exister l’espace public et ménager un lieu pour plus de confort, d’usages et de production de lien social.

J’aime beaucoup ce projet parce qu’il démontre qu’on peut se jouer des fatalités et continuer à construire la ville sur la ville et à la rendre plus verte, plus écologique et vecteur de lien humains, même au cœur des espaces les plus compliqués issus de modèles urbains et architecturaux dépassés : il faut accepter et regarder la ville comme elle est plutôt que comme on voudrait qu’elle soit.


(c) Topotek 1

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